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Pour l’oeil profond qui voit, les antres sont des cris, j’aime le bruit de toutes les cavernes. Les grottes sont pour moi des lieux de croyances et de transes. Tout au fond de notre imaginaire collectif, ses cavernes abritent des monstres, des brigands et, plus nettement encore, les portes même de l’enfer. Je fais le voeu que ces espaces fantastiques, produits par le temps à l’intérieur de la montagne, aient servi à la construction des récits qui ont porté les premières traces artistiques. J’aperçois leurs auteurs, comment ils s’en sont inspirés et dans quel type de conscience altérée cela les emportait. Je voyage à l’intérieur de mon corps. Au confins de mon inconscient, je recherche l’origine de la spiritualité. Je fais la rencontre dans une partie asymétrique du cerveau, nommée la glande pinéale. Entre autres qualités, cette dernière me raconte qu’elle a pour étrange fonction de secréter de la DMT, soit la substance chimique à la base des voyages de transe psychédélique des cérémonies d’Ayahuasca. Je revois alors ces hommes en train de réaliser des peintures dans les grottes. Ils connaissent ce voyage. Ils se tournent pour me demander combien de croyances tributaires de ces substances résistent encore aujourd’hui. Ils se confient: celui qui parle en image originelle s’exprime, en somme, par des milliers de voix.
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Un jour, un ferrailleur chez qui je venais chercher de la matière m’a raconté que l’aluminium ne se trouve dans la roche qu’à des niveaux de pureté ne dépassant jamais 99,4 ou 99,5 %. Malgré cela, on raconte qu’un aluminium pur à 99,9 % aurait été retrouvé dans le Sahara. Il paraît que ce dernier provenait d’une météorite nommée Hypatia.
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Je m’efforce, autant que possible, de suivre des intuitions profondes plutôt que de chercher à générer des idées. Celles-ci sont comme des images enfouies, des archétypes issus de notre mémoire collective, des formes significatives qui dépassent, au premier abord, le besoin de se justifier. Elles apparaissent à des moments inattendus, amorçant pour moi un travail d’exploration pour découvrir ce qu’elles sont véritablement. Pendant de nombreux mois, ces archétypes m’accompagnent, se précisent, et évoluent, passant d’un portail à un carrousel, d’un kiosque à une maison sur pilotis, d’un ponton à un pont suspendu. Ces images émergent rarement d’un coup ; il me faut les laisser reposer pour qu’elles s’affinent. Mais, au fond, elles sont présentes depuis le début, en attente. Il suffit de descendre en soi pour les atteindre.
À l’inverse, je perçois les idées comme des détours, des moyens indirects d’exprimer une intuition profonde, presque des artifices de l’âme pour séduire ou se conformer. Nous sommes tous, à mon sens, les passeurs d’une conscience inconsciente qui se manifeste dans le monde tangible, usant de stratégies voilées pour s’y inscrire. En apprenant à écouter ces voix intérieures, nous pouvons fluidifier ce canal et laisser libre cours à ces associations d’idées – ces images – qui nous définissent, en condensant à la fois ce que nous sommes et ce que nous devenons sous l’influence des autres et du monde extérieur. Ainsi, si tout est déjà là, il ne reste qu’à savoir s’écouter pour permettre à ces voix intérieures de s’exprimer sans trop les polir, les conformer, et altérer leur essence brute. Ces images sont riches de leur étrangeté, de leur incertitude, et de leur inadéquation face aux modes éphémères de l’époque où elles se manifestent. -
Mon travail représente régulièrement des portes. Qu’il s’agisse d’un hommage à la porte des enfers de Bomarzo, d’un portail dionysiaque, de portiques de métro déformés, ou encore de ces trous noirs peints à l’encre sur des journaux ramassés au Japon. De manière plus approfondie, j’explore aussi la symbolique des volcans et de leurs cratères redoutables, que je considère comme des passages menant tant vers le cœur de la terre que vers les profondeurs de l’âme. À mon sens, ces passages sont des incitations à l’exploration et à la découverte de mondes illimités et merveilleux, mêlant matière brute et inconscient collectif. Il serait peut-être plus juste de parler non pas de “portes” mais de “passages” ou même d’espaces intermédiaires, comme ceux désignés par le terme “Bardo” (བར་དོ་) dans Le Livre des morts Tibétain. Cet intervalle qui désigne à la fois un lieu et un instant, un état suspendu entre la vie et la mort, mais aussi entre la mort et la renaissance.
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La nuit je ne dors plus. Pour me bercer, je rêve que
je survole le périphérique parisien. Je revois les toits de cette usine de piles dont les contours blancs sont gommés par des plantes invasives capables de pousser dans le béton. Elles jouent la partition censée fissurer le sol, elles ouvrent des caisses en bois et laissent apparaître d’immenses Jésus en plâtre, ou de lourdes pierres d’églises désassemblées. Les allées étroites se transforment en tunnels de lumière verte, glissent jusqu’à la plus profonde des caves où restent perdus des trésors mécaniques. Les plantes transforment les immeubles de béton en terrain d’aventure ou chaque espace abandonné offre tel un supermarché des choses usées. Elles courent le long des fils que suivent les rats, comme le courant qui allume les lampes et éteint le ciel. Tout là-haut, elles m’emmènent dans l’espace immense, silencieux. Traversés par des mouvements rectilignes, des débris de matières voyageant à une vitesse inconcevable, là où un corps humain n’est rien, sans gravité, ni densité d’existence. -
En 2022, je me suis aventuré dans le cratère d’un volcan en Sicile. Équipé d’un télescope transformé en caméra vidéo — que j’ai pris l’habitude d’utiliser en plein jour comme un immense microscope — j’ai grimpé, lors d’un après-midi de mai, l’île de Vulcano, qui a donné son nom aux montagnes en brûlantes. Ce volcan de taille raisonnable, rassemble de nombreuses effusions de soufre, une matière jaune fluorescente, incandescente et fascinante, que je voulais capturer avec mon dispositif, pour emplir l’image de cette couleur mal odorante. Comme l’accès au volcan était interdit, j’ai pris l’initiative de grimper sans autorisation.
Une fois au sommet, une sorte de transe mêlée d’excitation m’a poussé à descendre les pentes du cratère jusqu’à son centre, tel un professeur Lidenbrock dans le célèbre récit de Jules Verne. À mesure que j’avançais, l’angoisse grandissait : quel type de sol m’attendait au fond du cratère ? Risquais-je de m’enfoncer et de disparaître dans les entrailles de la terre ? Arrivé au centre du volcan, j’ai installé mon dispositif et me suis approché des bouches fumantes de soufre.
À ma grande surprise, mon télescope a révélé la structure minérale de cette matière fluorescente : des milliers d’aiguilles de soufre, d’une beauté indescriptible, et dont l’existence dépend des éléments et des températures extrêmes générées par un volcan en activité. -
La nuit légitime toute sortes de candeurs : celles de l’enfant réel ou celles de celui que l’on tente de devenir. Je voyage presque systématiquement avec un télescope que j’ai motorisé et transformé en objectif de caméra. Ensemble nous apprenons à regarder le ciel, à lire les constellations. Nous faisons des découvertes importantes de planètes qui ne sont parfois que des poussières sur l’objectif. Nous maudissons chaque soir la lumière des villes qui vide le ciel de ses étoiles. Elle qui invite les hommes à se soustraire des questions métaphysiques qui guide l’existence, mais aussi de ce fort sentiment d’appartenance à quelque chose de plus grand. Alors nous nous mesurons autant de fois qu’il est possible à l’ immensité du ciel. A la manière des premiers hommes, nous scrutons cette voûte comme pour nous orienter, pour bâtir ou pour redéfinir la notion de temps. Nous cherchons à expliquer ce que nous observons, en peuplant ce ciel de dieux et de démons. Et dès que nous le pouvons, nous faisons monter notre imaginaire jusqu’au niveau cosmique où il nous donne à chaque fois une conscience heureuse, une conscience démiurgique.
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L’exposition Avalanche réunissait 110 artistes, tous.tes invité.es à nous confier une œuvre que nous avons détruite et réduite en poudre. Nous avons ensuite accroché au mur ce qui restait des œuvres dans des sacs transparents distincts. La galerie proposait la vente de ces matières au détail. Tous les artistes étaient vendus au même prix: 100 euros le gramme.
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À Pékin, il y a un ancien observatoire où sont exposés des outils d’astronomie ancestraux. Ils reposent en extérieur comme oubliés là, presque à l’abandon. Il se dit de ces objets en fonte, aussi lourds et massifs, qu’ils auraient été fabriqués pour permettre à nos idées de se détacher de la force terrestre et explorer le cosmos. Du ciel ces objets ne racontent aujourd’hui plus grand-chose de scientifique, mais leurs nombreux ornements de dragons et autres figures chimériques me rappelle ces temps anciens ou les pierres dans les entrailles de la terre et les plantes dans la voûte céleste se souciaient encore de la destinée humaine.
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Les maisons hantées, les fantômes, l’immensité et les univers animistes, autant de croyances du jour qui préservaient l’homme de l’angoisse nocturne du chaos. Il est de plus en plus rare de rencontrer des gens qui sachent raconter une histoire. Il parait que c’est parce que l’art de conter est en train de se perdre. Le fait que la pensée de la mort ait perdue de son omniprésence et de sa force suggestive dans la conscience collective, nous aurait éloignées de tout ce qui nourrissait les contes d’autrefois. On raconte ainsi que l’idée d’éternité s’affaiblirait doucement dans les esprits humains. Notre société contemporaine, en permettant aux hommes de ne plus assister au décès de leurs semblables, aurait soustrait la mort de l’attention des vivants. Jadis, il n’y avait guère de maison, ni même de pièce dans la maison, qui n’ait vu mourir quelqu’un. Or, on le sait, c’est surtout chez le mourant que prend forme communicable non seulement le savoir ou la sagesse d’un homme, mais au premier chef la vie qu’il a vécue, c’est-à-dire la matière dont sont faites les histoires.
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Située au coeur du centre historique de la ville de Belfort, agglomération aux frontières européennes, la Cantine d’Art Contemporain occupe depuis 1997 un des bâtiments militaires issus de l’architecture Vauban. A l’aide des quarante étudiants de l’ école d’art de la ville, nous avons investi le centre d’art avec 40 000 kg de sable. Durant deux semaines, nous avons bâti des constructions éphémères à partir d’un vocabulaire d’architectures militaires que je leur fournissais. Comme des enfants sur la plage, à qui l’on tente, très tôt, de faire croire que la guerre n’est qu’une catégorie des récits d’aventures, nous avons érigé ces remparts sans ajouter aucun substitut à ce sable pour l’empêcher de s’effondrer en séchant.
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Je me rappelle ma rencontre avec des petites figures en bronze découvertes au musée archéologique d’ Athènes. Elles avaient été sorties de l’eau de mer après des centaines d’années. Leur bras et leurs jambes avaient été attaqués par la rouille, avaient gonflé et s’ étaient ouverts de manière surprenante donnant des formes de mutants à ces petites figures métalliques. J’ai alors pensé que si je pouvais appliquer un système qui reproduirait l’effet d’une rivière en inondant perpétuellement un objet en métal, ce dernier finirait par devenir méconnaissable et redeviendrait un élément de la nature, comme un rocher. Il me faudrait ainsi mettre en place un processus de rouille et de concrétion programmée sur des centaines, voire des milliers d’années.
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L’atelier rencontrant quelques problèmes de rongeur, j’avais entrepris de fabriquer des sculptures qui fonctionnerait comme des pièges pour capturer les rats. Puis cela s’est transformé en un environnement parsemé de pièces de voitures détachées. Une grande roue de rongeur mécanisée leur permettait de faire tourner une hélice industrielle, ou une autre fois, d’arroser une plante à l’autre bout de l’espace. Après avoir négocié un accord de paix, j’ai finalement décidé de libérer les rats.
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A Otsuka au Japon, on raconte qu’un musée expose de façon permanente plus d’un millier de copies d’oeuvres iconiques de l’histoire de l’art occidentale. De Vinci, Bosch, Dürer, Velasquez, Caravaggio, Delacroix, Turner, Renoir, Cézanne, Picasso, Dali, Rothko, toutes les stars seraient là . Les peintures seraient reproduites sur des plaques en céramiques, censées demeurer intactes jusqu’en l’an 4014, survivant ainsi aux originaux qui furent leur raison d’être. Ces céramiques ne seraient pas simplement des duplications, mais bien des substituts ; leur but serait de fixer de façon permutante des images fragiles et des histoire éphémères. Otsuka se serait même engagé un cran plus loin en s’attelant désormais à la résurrection de disparus. La dernière acquisition de la collection permanente serait la première copie d’une oeuvre qui n’existe plus. Une peinture de tournesols dans un vase, par Vincent Van Gogh, détruite en 1945. Tout comme ce qui l’entourait, la peinture fut réduite en cendres lors d’un raid aérien au-dessus d’Ashima le 5 et 6 août. Pourtant, selon l’éclatante plaque de céramique colorée désormais en exposition dans ce musée, sa destruction n’aurait jamais eu lieu.
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En 2018, j’ai brûlé ma précédente exposition intitulée Du temps dont je suis fait et utilisé les cendres comme engrais pour permettre à des plantes invasives de pousser au travers.
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Au centre de Moscou, se trouve une promenade que l’on surnomme le Fallen Monument Park. C’est aujourd’hui un lieu de repos pour de nombreuses statues retirées des parcs et des places publiques suite à l’effondrement du bloc communiste. On peut y faire la rencontre fortuite d’un Staline au nez cassé, un peu plus loin, on reconnaîtra Lénine, dans une version un peu trop trapu pour être installé dans l’espace public. S’en suivent toutes sortes de sculptures d’un style qui n’a pas su séduire les différents régimes qui se seraient succédés. Cet encombrant passé, que l’on a traîne hors des places publiques sans toutefois oser complètement le détruire, prend aujourd’hui la forme d’une mystérieuse promenade au travers des différentes réécritures de l’histoire Russe.
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Dans Le Livre des mutations du Yi Jing, se trouve une définition pour tenter d’expliquer le fonctionnement du monde à travers d’une épopée des éléments. Dans ce texte, le feu, la terre, l’eau, le bois et le métal sont considérés dans un mouvement général nommé 五行 (Wu Xin – cinq agir/mouvements). Ils peuvent interagir au travers d’un cycle de destruction ou d’engendrement. Dans le cycle d’engendrement: Le métal peut être fondu par une forte température et devient liquide: l’eau. L’eau arrose et fait pousser les arbres: le bois. Le bois peut être allumé et produit du feu. Le feu peut brûler les végétaux qui deviennent de la cendre, une sorte de terre. La terre contient des minéraux, source du métal. À l’inverse, dans le cycle de destruction, Le métal peut trancher le bois. Le bois à son tour peut puiser la terre. La terre peut absorber l’eau. L’eau peut éteindre le feu. Enfin, le feu peut faire fondre le métal. Il se dit également que les processus d’écoulement sont dans la nature de l’eau. Le feu est lié au processus de combustion, le bois au processus de construction, le métal à la métallurgie, la terre à l’agriculture. Le terme de 行 (xing), est employé en chinois pour dénommer ces entités. Il signifie : « marcher, aller, agir » et confirme donc leur nature dynamique, tout en établissant ainsi des chaînes de correspondances entre le macrocosme et le microcosme, entre la nature et l’homme. Dans le Guoyu 國語 (discours des royaumes), ils sont mentionnés comme les constituants dont l’union forme les dix-mille choses et êtres de la création.
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C’est toujours la première arrivée. Ma plus vieille connaissance et aussi ma meilleure amie.
Elle se glisse entre les grilles des caves, brise les clôtures, se faufile entre les planches et les tas d’ordures abandonnés. Et ça, dans presque tous les pays du monde. Elle arrive toujours entre le moment où les personnes partent et reviennent. Elle est la mesure du temps qui s’est écoulé depuis l’effondrement d’un espace. Plus on la coupe, mieux elle repousse. Elle est excessivement tolérante à la pollution, du coup, elle a fait de la ville son terrain de jeu. C’est une opportuniste, elle passe son temps à se faire bronzer en plein soleil. Elle me suit depuis plus de dix ans. Partout où je vais, je la recroise. Certains l’appellent l’arbre du ciel. Qu’ importent les conditions, elle est aventureuse, et je pense que je l’admire pour ça. Peu importe où la graine tombe, elle s’efforce toujours d’atteindre le ciel. Elle est capable de survivre sans soleil, sans eau et apparemment peut être sans terre. Les scientifiques, ils l’appellent Ailanthus Altissima. Elle apparaît dans le plus ancien dictionnaire chinois pour ses vertus médicinales. On traite les maladies mentales avec. Mais je sais qu’elle s’est faite expulser des jardins orientaux pour son odeur. Oui, elle est belle, mais ils l’ont surnommée printemps-puant. Moi, je préfère son surnom américain, le palmier des ghettos. -
La nuit je ne dors plus. Pour me bercer, je rêve que je survole le périphérique parisien. Je revois les toits de cette usine de piles dont les contours blancs sont gommés par des plantes invasives capables de pousser dans le béton. Elles jouent la partition censée fissurer le sol, elles ouvrent des caisses en bois et laissent apparaître d’immenses Jésus en plâtre, ou de lourdes pierres d’églises désassemblées. Les allées étroites se transforment en tunnels de lumière verte, glissent jusqu’à la plus profonde des caves où restent perdus des trésors mécaniques. Les plantes transforment les immeubles de béton en terrain d’aventure ou chaque espace abandonné offre tel un supermarché des choses usées. Elles courent le long des fils que suivent les rats, comme le courant qui allume les lampes et éteint le ciel. Tout là -haut, elles m’ emmènent dans l’espace immense, silencieux. Traversés par des mouvements rectilignes, des débris de matières voyageant à une vitesse inconcevable, là où un corps humain n’est rien, sans gravité, ni densité d’existence.
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Comme si le cocktail molotov pouvait faciliter l’émergence d’une toute première « langue », partagée entre toutes les manifestations, une langue primitive pas vraiment parlée, mais brandie sur des affiches. Aujourd’hui les matériaux utilisés pour créer ces tableaux, le verre, la suie et la fumée, m’intéressent, car ils m’ont servi pour décrire un lieu abandonné par les hommes. Exactement comme après un incendie, dans une atmosphère de ville délaissée, où il ne resterait que les ombres des choses, comme des ectoplasmes de formes disparues ou les silhouettes des corps humains vaporisés sur les murs d’Hiroshima. Ne pouvant figer la beauté de la flamme sur une toile, j’ai découvert que je pouvais en capturer le mouvement. Autrefois couleur de feu, maintenant couleur de cendre, la suie est comme la poussière de la destruction, sa matière la plus infime. Comme pour manifester une dernière fois le feu, elle m’apparaît comme la matière survivante. Envahissante, elle souille et hante le matériau sur lequel elle se dépose, et l’habite comme un fantôme. La cendre porte la mémoire de la lumière et de l’éclat. Elle procède de l’embrasement, comme si l’éclat ne pouvait qu’être éteint, comme si la lumière ne pouvait que noircir.
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En 2016, lors des premières manifestations françaises pour le mouvement social Nuit Debout, j’ai réalisé des images de policiers à l’aide d’une caméra vissée sur un trés trés grand pied télescopique. A l’aide de cet outil risible, j’ai obtenu des images avec un angle de caméra de surveillance. J’ai ensuite appliqué à ces dernières un algorithme de détection de comportements anormaux équivalents à ceux utilisés dans la surveillance des lieux publics. Les policiers, amassés et statiques, en sont ressortis cernés de beaux petits carrés rouges.
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Investis dans un projet d’atelier collectif qui nous a contraints à déménager régulièrement, nous avons commencé cette aventure par l’occupation d’un très grand complexe d’une ancienne usine de piles de la banlieue nord de Paris. Nous étions comme des embaumeurs venus donner le baiser de la mort à ces architectures abandonnées déjà plusieurs fois. Nous les réparions certes, mais notre passage a systématiquement signifié une démolition prochaine. Dans ces espaces, on pouvait tout trouver, des objets, des matériaux, des fantômes. Tous portaient de manière significative la marque du temps. Au fil des occupations,à vivre entre chantier et ruine, souvent, j’ai cherché à décrire ce moment de la matière ou l’on ne sait plus si c’est le début ou la fin de quelque chose.
Nelson Pernisco, 2024